De l'histoire de l'entreprise à l'histoire des marques

De l’histoire de l’entreprise à l’histoire des marques, étude de l’histoire dans les stratégies discursives internes et externes des marques. L’exemple de la société HENNESSY. Par Thomas Mollanger, Université Sophia Antipolis

 

Thomas Mollanger a commencé sa présentation en rappellant « la méfiance réciproque » qu’entretenaient histoire et entreprise : ces dernières se méfient de l’histoire, qui pourrait leur donner une mauvaise image ou une apparence passéiste, et les historiens se méfient de l’objectivité des études sur cette histoire, qui sont souvent financées par les entreprises elles-mêmes.

Toutefois, avec l’apparition de la culture d’entreprise dans les années 1980, on constate un rapprochement en « histoire et marque ». Ce rapprochement est utilisé par les entreprises pour au moins 3 raisons :

1° Se commémorer, et consacrer leur réussite.

2° Aider à renforcer le positionnement de la marque

3° Utiliser l’histoire comme moyen de valorisation avec le développement du marketing. D’autant plus qu’aujourd’hui 50% de la valeur du produit est immatérielle.

 

Thomas Mollanger, Université Sophia Antipolis

 

Concernant ce dernier point, Thomas Mollanger, a développé en expliquant que dans le contexte actuel de crise, les habitudes de consommation sont en train d’évoluer et que les valeurs traditionnelles et de retour aux sources reviennent en force, avec la mise en avant de l’origine des produits (qui a d’ailleurs été au cœur de la dernière campagne présidentielle avec le « fabriqué français »). Les consommateurs sont donc en quête de traçabilité, d’authenticité et de sens. Pour répondre à cette demande, les entreprises cherchent à s’ancrer dans un territoire géographique (Michelin à Clermont-Ferrand, les Eaux de Volvic dans les Volcans d’Auvergne), et à mettre en avant leur l’histoire pour prouver leur authenticité. L’un des exemples évoqués à ce sujet est la récente ouverture de ses archives par le groupe Bacardie fabriquant du Rhum, afin de légitimer son appellation de véritable rhum cubain.

L’utilisation de l’histoire en s’appuyant sur les archives est donc un élément de plus en plus souvent utilisé par les services marketing à des fins de communication. Thomas Mollanger a toutefois nuancé son propos en expliquant que le recours à l’histoire n’apportait pas toujours une certitude de réussite en citant l’exemple de Levis, dont le modèle de jean copié du premier jean retrouvé dans les Rocheuses à fait un flop commercial.

En ce qui concerne l’exemple des spiritueux et principalement du cognac, Thomas Mollanger a expliqué que pour ce secteur le recours à l’histoire avait cinq grands intérêts.

1° Contourner la Loi Evin de 1971 qui interdit de communiquer sur les effets directs de l’alcool

2° L’existence d’une tradition séculaire dans ce domaine qui donne aux entreprises de cognac matière à recherche

3° Le positionnement des spiritueux sur le marché du luxe où l’histoire, en ancrant le produit dans un terroir, lui confère une certaine valeur ajoutée.

4° Le développement du marché à l’international et en particulier en direction de la Chine qui a une tradition accordant beaucoup d’importance à l’histoire.

5° Ce recours à l’histoire permet, également au cognac de candidater pour son inscription à l’UNESCO.

Thomas Mollanger a conclu en rappelant que si le recours à l’histoire offrait des avantages aux entreprises, il ne fallait pas oublier que toutes ne se référaient pas aux archives, et que certaines n’hésitaient pas à se créer leur propre mythe, comme par exemple le cognac Courvoisier, qui bien que fondé en 1828 s’autoproclame cognac de Napoléon.

 

Intervention de Didier Lenoir, PDG de la société Lenoir Métallerie

Intervention de Didier Lenoir, PDG de la société Lenoir Métallerie, membre de l’Association GEVIL (Groupement des entreprises de Villeurbanne)

 

Pour ouvrir cette journée, Didier Lenoir, PDG de la société Lenoir Métallerie (réalisation d’ouvrage pour le bâtiment) et membre de l’Association GEVIL (Groupement des Entreprises de Villeurbanne), a présenté la place qu’occupe la mémoire dans le fonctionnent de sa société, créée en 1894 par son arrière grand-père. Pour lui, le fait que la société familiale soit centenaire est une preuve de pérennité et est liée à l’état d’esprit des dirigeants qui se sont tous sentis (lui y compris) dépositaires d’une tradition autour d’un métier et de savoirs-faires. Il constate également que cet état d’esprit commun aux entreprises familiales cinquantenaires et centenaires se reflète également dans leur façon de favoriser l’investissement dans l’immobilier avec un amortissement long plutôt que la location.

Cet héritage, en plus d’être transmis aux ouvriers de l’entreprise, est mis en valeur dans la communication auprès des clients potentiels et des partenaires. L’histoire est utilisée pour montrer une certaine stabilité et une capacité à évoluer et à s’adapter en dépit des ruptures technologiques et des crises. Cette dualité entreprise ancienne mais novatrice est souvent mise en avant dans les actions publicitaires, qui s’appuient essentiellement sur des photographies anciennes.

Didier Lenoir a expliqué, pour répondre à une question dans l’assemblée, qu’il y a eu des tentatives de création de club des entreprises centenaires, mais qu’elles n’ont pas réellement abouti. Il a par ailleurs précisé qu’il n’existait que 1270 entreprises centenaires en France, dont environ 400 étaient des exploitations viticoles, et que de nombreuses entreprises familiales liées au bâtiment appartiennent maintenant à des grands groupes et que de ce fait leur philosophie a évolué.

Interrogé sur le sujet, Monsieur Lenoir a expliqué que la transmission de cette mémoire et de cet état d’esprit s’effectuaient principalement à travers les anecdotes et les histoires du passé des anciens collaborateurs. De ce fait, hormis quelque vieux matériaux et outils stockés dans un grenier, son entreprise ne conserve que peu d’archives, et aucune véritable organisation de ces dernières n’est mise en place.

 

Rédaction : Bouchra NEBBACH et Florian GIRAUD

 

Table ronde : La formation archivistique à l’heure des entreprises ?

Table ronde : La formation archivistique à l’heure des entreprises ? De nouveaux débouchés sont ils envisageables ? Pour préserver leur mémoire, les entreprises ont besoin d’archivistes, comment sont-ils formés?

La dernière table ronde de la journée animée par Benoît Van Reeth, directeur des Archives départementales du Rhône, a réuni quatre intervenants, autour de la question de l’adéquation de la formation des jeunes archivistes avec la demande des entreprises.

Camille Castanié, chef de projet à Perles d’Histoire (société de conservation et surtout de valorisation des archives historiques et patrimoniales des entreprises), Laetitia Drutel de Lifing (Société lyonnaise spécialisée dans le conseil, traitement et formation en archives) et Alexis Moisdon, directeur de Naoned Système (éditeur de logiciel d’archives et de valorisation sur le web), ont tous fait un même constat : les jeunes archivistes sont principalement formés pour travailler dans le secteur public et peu d’entre eux ont une bonne connaissance du monde de l’entreprise et encore moins la vocation de devenir archiviste d’entreprise. Cette constatation faite, ils ont évoqué les compétences qu’ils recherchaient chez un archiviste pour travailler dans leur entreprise. Si les besoins, étaient un peu différents selon les cas, tous se sont accordés pour à dire qu’un socle solide de connaissance en archivistique était indispensable, et que cette compétence se retrouvait généralement chez tous les diplômés des formations spécialisées. Toutefois, avec l’évolution du métier ils avaient tous tendance à élargir leur panel de recrutement ; l’archiviste doit maintenant être à la fois archiviste, chef de projet, manager, force de proposition et intéressé par les nouvelles technologies. De plus, les compétences en gestion documentaire sont aussi très utiles, car les entreprises demandent de plus en plus de gestion des flux d’information. De ce fait, une entreprise comme Lifing qui recrutait essentiellement des diplômés en archivistique, commence à rechercher de plus en plus de jeunes diplômés de l’ENSSIB, ou de masters information et documentation.

 

Table ronde : La formation archivistique à l’heure des entreprises ?

 

Pour sa part Jean-Bernard Moné, président de l’Association des diplômés en archivistique de Lyon (ADAL),après avoir présenté brièvement l’association, a souligné le fait qu’il ne fallait pas creuser un trop grand fossé entre les missions des archivistes d’entreprise et celles de ceux du secteur public. Il a d’ailleurs, expliqué que dans son parcours professionnel il avait eu trois grandes expériences dans le secteur public et qu’elles avaient été toutes les trois extrêmement différentes. La grande hétérogénéité des offres que se soit dans l’entreprise ou dans le public est pour lui une caractéristique du métier d’archiviste. Il a ensuite présenté la formation du master de l’université de Lyon 3, qui comporte plusieurs cours qui donnent aux étudiants une approche du monde de l’entreprise (connaissance de l’entreprise, archives économiques, sociétés d’externalisation). Ces cours s’accompagnent de visites de l’Académie François Bourdon et de la société Everial. Ainsi la formation de Lyon 3, qui est avant tout généraliste, offre aux étudiants en un semestre une bonne première approche des archives d’entreprise. Pour compléter cette intervention, Benoît Van Reeth, fortement impliqué lui aussi le master de Lyon 3, a bien insisté sur le caractère généraliste de ce master et l’impossibilité de spécialiser plus les cours en un semestre. Il a aussi constaté que chaque année de moins en moins de candidats se présentaient pour suivre cette formation.

Une personne dans la salle, ancienne diplômée de l’école des Chartes, a alors fait par de son sentiment que sa formation ne l’avait pas réellement préparée à ce que l’on attendait d’elle. Elle a également soulevé le flou de la terminologie qui pour elle rend la compréhension difficile entre les jeunes diplômés et les entreprises. Cette table ronde s’est alors conclue sur l’idée que, plus que des archivistes d’entreprise et des archivistes du public, il existait avant tout des archivistes et que la distinction s’effectuait plutôt de par le type d’archives traitées et le but dans lequel s’opère se traitement.

 

Rédaction : Bouchra NEBBACH et Florian GIRAUD

 

 

Interview d'une participante à la journée du 21

Mathilde Cocoual, étudiante en Master II en Histoire à l’Université de Nice Sofia Antipolis.

Mathilde Cocoual, Université de Sofia Antipolis

 

Qu’avez-vous pensez de cette journée ?

J’ai trouvé ça trés intéressant, ça a brassé des thématiques trés diverses : la formation, la culture des normes, la question de la mémoire dans les entreprises. J’ai peut-être trouvé un peu dommage qu’on n’ait pas défini ce qu’est la mémoire, est-ce qu’on a un devoir de mémoire ?

 

Y-a-t-il des thèmes qui vont peut-être vous servir pour votre futur universitaire?

Oui, je travaille justement sur l’utilisation de l’histoire par l’entreprise (publicités, publications commémoratives) dans le passé et je constate que cela revient à la mode comme nous l’avons vu avec l’intervention de Thomas Mollanger.

 

Pouvez-vous nous parler des rapports entre l’histoire des entreprises et l’université?

Cela commence à se mettre en place mais l’histoire des entreprises est trés récente (années 90) avec par exemple l’apparition du magazine Histoire d’entreprises. Cette historiographie est récente car elle a suivi les nombreuses fermetures d’usines en France dans les années 70-80. L’entreprise brasse toute la population, du dirigeant à l’ouvrier, en passant par le cadre supérieur et donc constitute un prisme d’entrée intéressant  pour étudier notre société.